[ENTRETIEN] François Bonnal

Il a ce sourire immédiat, cet oeil qui vous accroche avec bienveillance. François Bonnal fait partie de ces guérisseurs dont le carnet de rendez-vous déborde des mois à l’avance. Sa plaque dit qu’il est ostéopathe, mais lui avoue dans un éclat de rire qu’il est tout autant rebouteux. Plaidoyer pour une approche spirituelle du corps.

Vous dites défendre l’essence de l’ostéopathie, en lui redonnant sa dimension sacrée. De quoi s’agit-il ?

Le fondateur de l’ostéopathie, Andrew Taylor Still, était un homme profondément spirituel, qui avait une vision sacrée du vivant. Même pour décrire la fonction sanguine, il parlait de « rivière de vie ». Les principes de base de l’ostéopathie sont : un corps un et indivisible, sa capacité à s’auto-guérir, et l’interrelation de la structure et de la fonction. Notre forme dépend autant de notre système neurovégétatif – nos organes intérieurs – que de notre système neurosensoriel – nos émotions et notre environnement. Nous évoluons dans un champ d’information qui est continuellement en mouvement. Face à une difficulté, notre mental le fige. L’émotion est mise à distance, elle n’est pas métabolisée ; un kyste d’énergie se crée. Derrière chaque inflammation, se cache une compression aussi bien mécanique que psychique. Si mes vertèbres ne sont pas à leur place, c’est sans doute que je ne le suis pas moi-même ! En temps normal, le système a une capacité énorme de digestion des informations, y compris virales et émotionnelles. Mais en fonction des circonstances, ou de la puissance du choc, ou de la répétition d’un système, il peut ne plus y parvenir. En identifiant cette compression puis en redonnant de l’espace et du mouvement aux tissus, l’ostéopathe libère les forces de santé. L’être retrouve son potentiel originel. Chaque fois que je touche un corps, je suis émerveillé. C’est une cathédrale. Il faut remettre le sacré et l’amour au cœur de tout.

Comment l’environnement impacte-t-il nos fonctions vitales ?

Le biologiste américain Bruce Lipton a montré que les cellules souches mutent différemment selon l’environnement dans lequel on les met. De même, nos organes ne digèrent pas les toxiques de la même façon selon l’espace-temps dans lequel nous nous trouvons. Enfermés dans une voiture au milieu des embouteillages, sans conscience du grand Tout qui nous entoure, nous digérons moins facilement, les propos comme les aliments. Serrée, l’âme étouffe, son mouvement restreint limite ses facultés d’intégration. Face à l’océan, au soleil couchant, un mot blessant, un verre d’alcool ou un repas lourd auront moins d’impact, parce qu’ils se fondent dans l’horizon. L’âme respire, son mouvement aéré facilite la digestion, physique et émotionnelle.

Vous parlez de redonner à l’être son intemporalité…

Pour moi, il existe un espace-temps où tout est infini, tout est éternel, tout est amour. La maladie survient quand on se coupe de ce champ des possibles, mis en mouvement sur la ligne passé-présent-futur. Imaginez que votre enfant vous fasse une remarque désobligeante. Si vous n’êtes pas dans une énergie d’amour, vous lui répondez quelque chose de blessant. Le temps s’arrête, vous perdez votre intemporalité. À la longue, à force de perdre le contact avec notre âme, la sensation de nous éloigner de nous-mêmes s’installe. En allant chercher dans le passé l’information qui n’est pas « passée » et en la remettant en mouvement, je permets à la personne d’en modifier sa perception et de changer sa destinée. Je la remets dans la vie, elle retrouve son intemporalité. Dans l’absolu, à chaque seconde, nous pouvons décider : sommes-nous finis ou infinis ? Mortels ou éternels ? Libres, ou prisonniers de notre histoire ? Mais pour toucher le grand en soi, il faut aussi toucher ce qu’il y a de petit. C’est en touchant le vide de ma vie que je vais pouvoir la remplir. C’est en touchant mes peurs que je vais pouvoir les transformer et me déployer.

Le toucher est au cœur de votre pratique. Que percevez-vous ?

Dans un soin ostéopathique, il y a la rencontre des deux corps physiques et des deux corps énergétiques, au sein d’un corps énergétique plus grand encore : celui de la Terre. Avant même de la toucher, je perçois ce dont une personne émane. J’ai la conviction que notre système immunitaire, c’est notre qualité photonique. Le physicien Fritz-Albert Popp a montré que la vitalité immunitaire est liée à la capacité de rétention de la lumière par les cellules ; il a observé que l’agriculture intensive produisait des végétaux de faible qualité photonique, moins résistants aux virus et aux bactéries. Quand un patient arrive, je perçois son rayonnement, c’est-à-dire sa faculté d’absorption et d’expansion de la lumière ; j’ai donc tout de suite une idée de l’état de son système immunitaire. Je sens aussi son champ. Je ne vais jamais rentrer dans son corps directement, mais d’abord intégrer son champ et l’espace entre nous. Il suffit parfois que je demande « Comment ça va ? » pour que la personne lâche une émotion ! Des informations passent de champ à champ. Puis je pose ma main. Le corps du patient commence par se rétracter ; c’est normal : il intègre l’information qui lui arrive – « C’est quoi cette main ? » Puis, sentant que l’environnement est bienveillant, il se détend. Une communication s’établit, de peau à peau, de cœur à cœur, puis entre mes mains et ses tissus. A ce moment, tout s’anime en moi. Par ma main, j’écoute, je vois, je sais, je libère, j’intègre. Ma main n’est pas localisée : quel que soit le volume anatomique que je palpe, j’ai accès à l’hologramme entier de mon patient.

Sur quoi agissez-vous ?

Le big-bang a été généré par une explosion d’énergie il y a 13,7 milliards d’années. Puis la Terre a été créée, il y a 4,5 milliards d’années. La vie, elle, est apparue dans l’eau il y a 3,8 milliards d’années. Notre palpation suit ce courant : au début, on est plutôt dans la matière ; on cherche à comprendre la structure, y compris osseuse. On pourrait parler de palpation mécanique. Puis on s’aperçoit qu’avant cette mécanique, il y a des liquides. Toutes les structures du corps humain sont faites autour des rivières de vie. Elles lui donnent sa forme, comme la mer sculpte la falaise. Les liquides sont à l’ostéopathe ce que le qi est à l’acupuncteur. Par la palpation liquidienne, je sens l’océan intérieur de mes patients, mais aussi – un peu comme quand on jette un caillou dans l’eau – une longueur d’onde. Ces liquides, comme tout le reste, sont animés par des champs. A travers les liquides, je sens l’écho de la compression, de l’émotion bloquée. Mais avant ça, au départ de toute chose, il y a une énergie. Pour revenir à notre forme initiale, il faut descendre dans les profondeurs de l’être afin de retrouver l’énergie originelle.

Par exemple ?

Si l’on vient me voir pour des douleurs cervicales, je vais considérer la vertèbre concernée comme un être à part entière : que me raconte-t-elle ? Peut-être qu’elle a trop bossé, qu’elle a besoin d’un coup de pouce. Si je ne l’approche que sous un angle biomécanique, je risque d’engendrer une décompensation. Je l’ai compris quand une femme qui avait subi des attouchements pendant des années est venue me voir. Elle avait le bassin bloqué. Quand elle est arrivée dans mon cabinet, elle sortait d’un mois en psychiatrie : un de mes confrères l’avait auparavant débloquée physiquement, mais sans prendre conscience qu’il était en train de lever une information mise en place par l’intelligence du corps pour la protéger, et qu’elle n’était pas prête à encaisser… Personnellement, si je reçois une information subtile, je ne la transmets au patient que si je peux « boucler la boucle » et ne pas le laisser seul en suspens avec l’histoire que je lui aurai révélée – car ça risquerait de créer une nouvelle compression.

Dans Les sept cerveaux de notre corps, vous mettez en relief la notion de conscience…

Nous avons détaillé sept « cerveaux » – celui du crâne, du ventre, du cœur, de la peau, de l’os, du sexe et de l’eau – mais on aurait pu en énumérer bien d’autres ! L’idée était de souligner à quel point l’intelligence est partout dans le corps humain, jusqu’au tréfonds de nos cellules. Tout est conscience. Tous ces cerveaux ont une intelligence particulière ; tous sont en résonance avec l’état intérieur, l’environnement, les sens, les émotions, l’inconscient individuel, familial, culturel… Tous fonctionnent les uns avec les autres et sont continuellement reliés. Si votre océan intérieur est tranquille, votre cerveau cœur va être dans un état de cohérence, qui va permettre à votre cerveau crâne de mieux capter l’information. Ces consciences sont aussi « non locales », c’est-à-dire qu’elles peuvent aller partout : celle du cœur peut passer dans la main, le pied, les yeux… Imaginez par exemple qu’une personne vous mette en émoi. Vous bouillez de partout, votre peau se rétracte, vous avez du mal à faire le premier pas pour aller la voir – y aller ou pas ? Votre cœur est relié à vos pieds, qui sont eux-mêmes des cerveaux à part entière. Ce n’est même pas que tout interagit, c’est que tout est intriqué. Tout est dans tout, rien n’existe en tant que tel.

En quoi un quadriceps peut-il être, selon une expression du livre, « spirituel » ?

Parce qu’il est relié et sensible à tout, comme le reste du corps, et notamment aux variations de son environnement, y compris émotionnel. Beaucoup d’études montrent que la peur fait fondre le muscle. On le voit chez les animaux : les loups alpha dominants n’ont pas la même musculature que les loups oméga, au bas de l’échelle. Ces derniers sont tout rétractés ; ils n’ont pas de muscles, tout le monde les attaque. Stressés au quotidien, ils se rongent de l’intérieur. La texture d’un muscle n’est pas non plus la même selon qu’une personne est ouverte et bienveillante, ou en permanence dans la critique et le jugement. Chez quelqu’un qui est toujours en vigilance, la fonction liquidienne perd en fluidité ; moins irrigué, le muscle se contracte. Son quadriceps n’est plus spirituel : il s’est fermé par rapport au grand Tout.

Et concernant l’ossature ?

L’os a une psyché propre. Un enfant bien dans son environnement n’a pas la même structure osseuse qu’un enfant qui a tout le temps peur. Chez les loups oméga, on observe une queue rentrée et une hyperlordose lombaire, conséquences de la peur et de la soumission. Le périoste – la membrane qui constitue l’enveloppe de l’os – joue aussi un rôle. Sous l’effet d’un trauma ou d’un environnement toxique, il peut se rétracter ; moins nourri, l’os dégénère.

Vous dites aussi que la position du cœur renseigne sur le traumatisme subi…

Un cœur sur ses gardes va prendre dans la poitrine une position haute : il n’arrive pas à relâcher, à redescendre. Lorsque le cœur apparaît debout sous mes mains, c’est un cœur méfiant, aux aguets. Lorsqu’il se présente couché, il est abattu, démoralisé. Lorsqu’il a du mal à se positionner, soit trop en avant, soit en retrait, il cherche l’amour et en a souvent manqué. Lorsqu’il est replié, rétracté, c’est un cœur humilié, opprimé. Lorsqu’il est reculé, lorsqu’il est parti se cacher, c’est souvent un cœur rejeté…

On vous sent en amour avec vos patients. Est-ce important ?

Se reconnecter seul à son âme est difficile ; nous avons besoin du regard de l’autre pour éclairer les zones qui, en nous, sont désaccordées. On ne progresse pas au tennis en jouant contre un mur ! Un champion ne craint pas d’avoir quelqu’un qui observe son revers et sa gestion émotionnelle des matchs. Le praticien offre un espace de conscience élargi et de non jugement, permettant à la personne de toucher du doigt là où elle en est. La relation entre l’observateur et l’observé est cruciale. A partir du moment où l’on pose la main sur quelqu’un, on modifie qui il est. Le thérapeute doit donc être au clair sur ses intentions. Pour entrer en résonance avec l’émotion de son patient, il doit l’avoir d’abord touchée en lui. Tout est ensuite dans la présence et le regard. Quelle considération y met-on, quelle attention ? J’ai reçu récemment un homme en pleine crise paranoïaque. Il avait le crâne rasé, des tatouages partout. Le genre à faire peur ! Dans ses liquides, c’était la tempête. Je ne lui ai pas demandé de me raconter son histoire, cela l’aurait encore défini. J’ai pris mon regard le plus neutre possible. Les yeux, c’est déjà un toucher. Par ma main et ma présence, je l’ai tranquillisé. Le simple fait de ne rien projeter sur lui a résolu quelque chose. Cet homme était en train de partir ; il est redescendu. Je suis convaincu que plus le thérapeute est lui-même dans son espace du cœur, plus la personne, par mimétisme, va ouvrir le sien.

A titre personnel, comment en êtes-vous arrivé là ?

Ma chance est d’avoir ressenti, à un moment de mon existence, l’inconfort dans mon corps. J’avais 19 ans, je souffrais de problèmes de dos, je me sentais décalé et je ne savais pas quoi faire de ma vie. Mes parents m’ont emmené voir l’ostéopathe Bernard Daraillans. Entre ses mains, j’ai tout de suite su qu’il était inutile de me cacher : cet homme sentait tout. Cette séance a été d’une telle puissance que j’ai compris que chaque rendez-vous était un moment sacré. Bernard m’a donné envie d’étudier l’ostéopathie. A ses côtés, j’ai côtoyé d’autres thérapeutes, dont les approches m’ont enrichi. J’ai réalisé que si en surface, nous étions différents, en profondeur, nous vibrons tous pour les mêmes choses… Au même âge, j’ai rencontré Lama Guendune Rinpoché, un chef spirituel du bouddhisme tibétain. En sa présence, je me suis mis à pleurer ; c’était d’une telle force vibratoire ! Dès qu’il approchait, tu sentais que l’heure n’était plus à la dérobade. Il avait cette faculté, au-delà de tout concept, de te mettre à nu. C’est le plus beau soin que j’ai reçu de ma vie ; la pure présence d’un grand maître… Devant une telle puissance d’amour, je me suis dit : « C’est quoi ce truc ? » J’ai pris une sorte de vague, que je sens toujours vivante en moi.

Entretien paru dans Inexploré Magazine, juillet 2020

IL ETAIT UNE FOIS L’OSTEOPATHIE

Du grec osteon, « os », et pathos, « affection », l’ostéopathie est un système diagnostique et thérapeutique fondé par le médecin américain Andrew Taylor Still. Fils de pasteur né en 1928 en Virginie, il se confronta durant la Guerre de Sécession à la difficulté de soulager ses semblables, puis perdit en 1865 trois de ses enfants de méningite cérébro-spinale. Obsédé par l’idée de soigner plus efficacement, il se plongea dans l’étude de l’anatomie. Développant sa palpation, il parvint en 1874 à guérir un enfant atteint de dysenterie en n’utilisant que ses mains. Une vision, dit-il, lui confirma que l’homme avait été créé avec « tous les fluides et tous les onguents » lui permettant de s’auto-guérir, et que le devoir du praticien était d’ajuster le système, afin que « les fleuves de vie puissent s’écouler et irriguer les champs desséchés ». Sa discipline prit de l’ampleur à la fin des années 1890. Still mourut en 1917.

A LIRE

Les sept cerveaux de notre corps Bernard Daraillans et François Bonnal, Éd. Dangles, 2018

Se reconnecter à son âme François Bonnal, Éd. Trajectoire, 2019