[DE CE MONDE] Cancer, de nouvelles formes d’aide
Le premier mot qui vient à Magali Rochereau quand on l’interroge sur son cancer, c’est “solitude”.
Solitude… Atteinte il y a cinq ans d’un cancer lui prenant “tout le sein et les ganglions”, elle se découvre dos au mur. “Dans ces moments, personne n’est à notre place, raconte-t-elle ; ce qui nous arrive, nous arrive à nous seuls.” Mais de ce constat, peut naître un rebond : “Moi qui n’étais pas douée pour demander de l’aide, je n’ai plus eu d’autre choix que d’aller chercher, au-delà de l’abysse et de la peur, les ressources de m’en sortir”, expose-t-elle.
Le cancer ne touche pas uniquement le corps : il ébranle une vie, dans toutes ses dimensions. Intime, émotionnelle, familiale, sociale, professionnelle… Soudain, tout s’effondre. 84% des personnes qui l’ont vécu le confirment : la maladie a profondément bouleversé leur existence.
Une prise en charge globale
La première main tendue est médicale. Il faut agir. Techniques, pas toujours empathiques, les oncologues connaissent leurs protocoles. “J’ai une admiration sans borne pour les médecins qui m’ont sauvée, indique Magali Rochereau. Ils m’ont diagnostiqué, ils m’ont soigné ; ils ont fait leur part.” Mais émotionnellement, la jeune femme s’effondre. Le recours à la psychologue de l’hôpital est salutaire. “Au départ, avoue-t-elle, je ne comprenais pas en quoi cela allait m’aider : j’étais malade, je devais me soigner, que dire de plus ? Mais en réalité, il y avait tant à partager, bien au-delà du cancer ! Je suis remontée à mes enfants, à leurs naissances, aux épisodes de ma vie qui ne s’étaient pas forcément bien passés.”
Une autre aide change sa donne : Annick Fière est coach, fondatrice de l’Académie de danse initiatique. Quand Magali Rochereau l’appelle, alors qu’elle vient d’apprendre sa maladie, elle se sent immédiatement soutenue. Annick Fière a elle-même traversé un cancer du sein. Ce qu’il va se passer pour Magali, elle sait. Comment la jeune femme peut se donner les moyens de le vivre dans de meilleures conditions, elle sait aussi. “Elle a été un conseil, une écoute, un roc, confie Magali Rochereau. Déjà, elle était vivante : elle représentait l’après.” Et puis la coach la mène sur de nouvelles pistes, comme celle de la méditation de pleine conscience. “Je me suis initiée, livre Magali Rochereau. Je devais méditer 45 minutes par jour. C’était dur, mais je me suis accrochée ! Peu à peu, j’ai constaté combien cela apaisait mes peurs, m’enracinait, me calmait. Trouver le temps de la méditation m’est devenu vital.”
Les techniques psycho-corporelles ont aujourd’hui leur place dans l’accompagnement d’un cancer. A Cochin, l’oncologue Anne-Catherine Piketti, formée à la méditation de pleine conscience, fait méditer ses patients. Cette pratique n’est pas “un plus” : elle fait partie intégrante du soin. De même que le yoga, la danse, ou toute autre activité amenant la personne à revenir à son corps. « Quand nous nous sentons menacés ou que nous sommes dans un état de désarroi, de tristesse ou de colère, le corps se bloque, il n’a plus accès à ses ressources, commente le Dr Lionel Coudron, fondateur de l’Institut de Yoga-Thérapie. Un travail sur la sensation permet de créer un sentiment propice de sécurité et de détente. » Chercheur en neurosciences, le Pr Richard Davidson fut le premier à montrer que la méditation pouvait modifier les schémas du cerveau au profit d’une sensation de bien-être et d’optimisme, favorable au rebond.
Dans son parcours de soin, Annick Fière s’est elle-même tournée vers un soutien énergétique : des séances d’acupuncture, d’abord, “essentielles” avant et pendant sa chimiothérapie, puis le concours d’un énergéticien, dès qu’elle “plongeait complètement” dans ses peurs, ainsi qu’un barreur de feu, durant sa radiothérapie et pour “la cicatrice” de son opération… “Ma chance, estime-t-elle, est d’avoir eu les connexions nécessaires. Je savais à qui m’adresser.” La coach a joué tous ses atouts : méditer, prier, danser, jeûner avant chaque chimiothérapie, arrêter le gluten… “Le cancer c’est l’enfer, ponctue-t-elle, mais j’ai tâché de le vivre le plus possible dans la présence et la lumière. J’allais à chaque séance avec mes pierres et ma musique. Je me faisais belle. Il était important pour moi de garder ma dignité et de rester femme. Donner le meilleur de moi, malgré la peau qui fane, la sexualité qui dépérit et la peur qui tenaille. Honorer mon être.”
Et en faire une opportunité d’élévation. “Je me suis dit que ce cancer avait un sens, confie-t-elle. Que c’était un passage pour apprendre l’essentiel.” Proche de la thérapeute Maud Séjournant, Annick Fière applique les quatre accords toltèques : “Par exemple, dès que je me trouvais moche, je me souvenais d’avoir une parole impeccable à mon égard, explique–t-elle ; ou de ne pas faire de supposition quand je me disais que j’allais mourir…” Convaincue de l’importance des rituels, en tant qu’espaces de conscience entre un avant et un après, Annick Fière rend sacrée chaque étape. “Avant la première chimiothérapie, j’ai réuni quelques proches, en leur demandant d’apporter une fleur blanche, illustre-t-elle. Puis, dans le silence, j’ai demandé à ma fille de me tondre la tête. C’était un moyen de mettre de la magie et de l’amour dans ce que j’étais en train de vivre, malgré sa dureté. C’était un acte de foi et de renaissance.”
Mais tout le monde n’a pas les réseaux ni la connaissance de le vivre ainsi. Raison pour laquelle de plus en plus de professionnels de santé s’organisent pour offrir aux personnes atteintes par le cancer des lieux proposant, à côté des traitements médicaux, un accompagnement intégratif. Ainsi est né l’Institut Rafaël, à l’initiative de quatre oncologues. Ainsi ont été créés l’atelier Cognacq-Jay, à Paris, et les Centres Ressource, dans différentes régions de France. Maître mot : prise en charge globale, approche transdisciplinaire et parcours personnalisé. “Il est temps de passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine centrée sur l’individu et son projet de vie”, commente le Dr Toledano, président de l’Institut Rafaël. Le patient est trop impacté par sa maladie et les traitements pour parvenir seul à trouver les ressources. Il y a nécessité à l’aider à se réapproprier son corps, à gérer ses émotions, à retrouver un équilibre professionnel, personnel, familial et social, ainsi qu’à se projeter dans l’avenir.”
Au sein de l’Institut Rafaël, ce sont aujourd’hui 30 médecins, 70 paramédicaux et cinq coordinatrices qui oeuvrent pour soutenir les patients bénéficiaires, gratuitement, en mettant en place pour chacun d’eux un parcours de six mois, autour de cinq pôles d’action (nutrition, activité physique, émotions, bien-être et retour à l’emploi) et de quarante disciplines – “choisies pour couvrir l’ensemble des besoins physiques et psychiques des patients”, détaille le Dr Toledano, parmi lesquelles l’auriculothérapie, l’hypnose, l’onco-esthétique, le shiatsu, la naturopathie, le qi gong, la sophrologie, des ateliers cuisine, de l’art thérapie… Ainsi que des ateliers collectifs répondant aux problématiques communes induites par le cancer, telles que les troubles du sommeil ou la gestion du stress.
La force du lien
Confrontée à la contamination de son deuxième sein, Magali Rochereau s’est retrouvée, sur les conseils d’une connaissance, dans un train pour Lausanne, en route vers un spécialiste de la médecine chinoise. “Lorsque j’ai pris ce TGV, un vendredi matin tôt, j’ai douté, livre-t-elle. Étais-je à ce point désespérée ? J’étais ostéopathe, kinésithérapeute, très terre à terre. Il m’était difficile de croire en autre chose. Mais dès que j’ai rencontré cet homme en qui je fondais tant d’espoir, il m’a dit des choses qui ont hyper-résonné. J’ai beaucoup pleuré. Je lui ai parlé de ma tumeur, de mes ganglions. Il m’a répondu : “Que s’est-il passé en 2003 ?” Cette année avait effectivement été très spéciale pour moi. Avec lui, j’ai énormément avancé. Je suis en rémission depuis quatre ans, mais je le consulte encore une à deux fois par an.”
Pour d’autres, la clé sera dans la phytothérapie, dans un voyage au-delà de leurs limites aux côtés de l’association Chacun Son Everest (fondée par le médecin et alpiniste Christine Janin pour accompagner des enfants et des femmes en rémission) ou dans une autre méthode… “Toutes ramènent à la même chose”, observe une ancienne malade : d’abord, “pouvoir identifier ce qui fait mal”. Puis, “être vu et accepté sans jugement dans la fragilité de ce qui fait mal”. Enfin, “être accompagné pour le transformer et le laisser derrière soi.” L’important, au-delà des méthodes, c’est la dynamique de vie et d’espoir qu’elles créent, ainsi que le lien qu’elles favorisent – à soi-même, à son corps, à ses émotions, ainsi qu’aux autres et à “plus vaste”…
On sait aujourd’hui le rôle de la relation dans le processus de guérison. Bénéficier d’un entourage favorable ; se sentir écouté, compris ; pouvoir s’en remettre et accorder sa confiance… Des recherches mettent en évidence le rôle de la relation thérapeutique en matière de santé. Professeur de physiologie et de neurosciences à l’Université de Turin, Fabrizio Benedetti les expose dans son livre The Patient’s Brain. “Différents mécanismes physiologiques et biochimiques sont à l’œuvre dans les fonctions clés que sont la confiance, l’espoir, l’empathie et la compassion, indique-t-il. Les soignants vont pouvoir voir comment leurs mots et leurs comportements activent ou désactivent des molécules, des aires corticales et des systèmes sensoriels chez leurs patients.”
Cet accompagnement humain n’est pas l’apanage du corps médical. L’entourage familial et amical, bien sûr, est essentiel. Magali Rochereau se souvient avec émotion, non seulement du soutien que lui a apporté son mari pour qu’elle puisse se dédier à sa guérison, mais aussi de certaines “mamans” qui lui ont proposé spontanément de garder ses enfants, avant même qu’elle ait à le demander… “Tout le temps qu’on peut te donner est précieux”, confirme-t-elle. Et tous les espaces où l’on peut se déposer… “C’est la raison pour laquelle beaucoup de malades du cancer trouvent force et aide dans la communauté que proposent les réseaux sociaux, Instagram notamment”, souligne Magali Rochereau : #kfighter, #ksister, #soeursdekombat… “Faire corps” est précieux. C’est d’ailleurs ce qui a amené Magali Rochereau, au terme de son cancer, a créer une série de podcasts nommée À coups de pour quoi. “En radiothérapie, je m’étais fait une copine, relate-t-elle. Quel bonheur de pouvoir parler, partager, confronter ! C’était différent de la famille et des amis : elle vivait la même chose. J’ai eu envie de proposer des récits vibrants de survivants, qui expliquent leurs parcours, leurs choix, comment ils ont fait quand ils ont été dos au mur et comment ça a changé leur vie, en mieux. J’avais à coeur de transmettre un avenir.”
Plus avant, c’est aux institutions d’intégrer ce facteur humain. En généralisant la notion de“patients partenaires” et de “pair-aidance” partout où nécessaire – à l’hôpital, en association, en entreprise… -, c’est-à-dire la présence au sein des équipes de gens passés par un cancer et soucieux de participer à l’entraide. En instaurant une culture du rétablissement, aussi, aux côtés de la culture médicale. A l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, par exemple, a été mis en place un Café du Rétablissement : initié par la psychologue Catherine Tourette-Turgis, spécialiste de la relation d’aide et fondatrice de l’Université des Patients, il propose huit rencontres autour des principaux thèmes de la reconstruction “après cancer”, animées par des duos soignants / patients partenaires.
Car si la maladie est un événement incroyablement intime et existentiel, elle est tout autant, en percutant la sphère familiale et professionnelle, un fait social. Chemin initiatique obligeant la personne à puiser en soi un sens et des ressources : assurément. Situation qui déstabilise tout autour d’elle : également. Pendant, après : plus rien n’est “comme avant”. Cette dimension nécessite une réflexion approfondie sur le sens que l’on donne au mot “soin”. “Il est temps d’évoluer vers la transformation de notre système de santé”, confirme le Dr Toledano. En sensibilisant les soignants à la nécessité d’une approche intégrative, transdisciplinaire et personnalisée. En donnant un statut officiel aux structures ressources qui œuvrent à un bien-être global. En les rendant accessibles à tous. En incluant le malade comme “partenaire actif”… “Pour moi, conclut Annick Fière, tout se résume à la présence et à l’amour. Trouver la ressource de s’accueillir avec amour. Se connecter à l’amour pour traverser l’épreuve. S’entourer de personnes capables de ce lien d’amour. Qu’on le veuille ou non, affronter un cancer est le début du reste de sa vie. Autant le prévoir et se faire aider dans ce chemin de conscience.”
Article paru dans Inexploré Magazine, été 2022
[Prendre soin de “l’après”]
Une fois finis les traitements, tout est censé rentrer dans l’ordre. Pas si simple ! Être déclaré en rémission ou guéri médicalement ne suffit pas pour être rétabli. Confrontée à cette difficulté, Annick Fière a ressenti la nécessité d’être coachée. “Pendant la maladie, on s’occupait de moi, souligne-t-elle. Les protocoles médicaux terminés, je me suis retrouvée seule face à ma peur. J’avais besoin de me réadapter.” Chercheuse en biologie, Hélène Bonnet s’est découverte malade d’un cancer. Après neuf mois de traitement, alors qu’elle avait hâte de reprendre son travail, elle s’est aperçue que c’était une épreuve. Auprès de qui partager ses aléas ? Mue par la conviction qu’il était important de faire du lieu de travail une ressource, elle a initié “Cancer & travail : agir ensemble” : au sein de son entreprise, des antennes où toute personne touchée par le cancer (qu’il s’agisse du malade, d’un proche, d’un manager ou d’un collègue) peut trouver une écoute attentive, une parole bienveillante et des conseils.