Le bruit des avions et le chant des oiseaux. A Villepinte, à proximité de l’aéroport Charles de Gaulle, le Parc du Sausset est un miracle de verdure, à la presque extrémité du RER B. Sur les 1,7 hectares de “ferme urbaine” consentis à Pariciflore par le département de Seine-Saint-Denis, une stagiaire mélange de la terre pour repiquer des plantes, tandis qu’une autre aide le salarié de l’association à désherber des iris des marais. À leurs côtés, Élodie Seguin, la fondatrice de l’association, enlève à l’épuisette les algues surgies dans l’une des mares, en tâchant d’épargner les insectes qui la peuplent. “C’est un petit déséquilibre, ça va se réguler”, constate la botaniste et écologue.

Primula veris, Asparagus officinalis, Silène dioica, Sedum album, Origanum vulgare, Eupatorium cannabinum, Alliaria petiolata : primevère, asperge, compagnon rouge, orpin blanc, origan, eupatoire à feuilles de chanvre, herbe à ail… Sous le tunnel agricole, à l’abri des intempéries, les semis commencent à éclore. Leur spécificité : il s’agit uniquement de plantes natives d’Ile-de-France. “J’ai longtemps été impliquée dans des programmes de restauration de milieux naturels fortement dégradés, explique Élodie Seguin. À ce titre, j’ai pu constater la difficulté de revégétaliser ces espaces avec des plantes locales.” Pour les arbres et les arbustes, “passe encore”, indique-t-elle, mais en matière d’herbacées, “rien n’existait” ; aucune pépinière dédiée à la culture et à la commercialisation auprès des professionnels de l’aménagement du territoire des plantes indigènes à la région.

Des espèces adaptées à l’écosystème

Ce n’est un secret pour personne : la faune et la flore de nos territoires sont menacées par l’artificialisation des sols et la fragmentation des milieux naturels. Collectivités, entreprises et citoyens se mobilisent pour les préserver ou les réhabiliter. Mais avec quelles plantes ? Originaires de quelle région ? Et avec quelle capacité d’adaptation au milieu dans lequel elles vont se retrouver ?

“Il faut comprendre que dans la nature, le capital génétique de la flore est un des fondements de l’équilibre des écosystèmes, détaille Élodie Seguin. Il est le résultat de milliers d’années d’adaptation aux conditions géographiques, géologiques et climatiques de la région. Les espèces sauvages, dans leur territoire d’origine, sont plus à même d’affronter les perturbations des milieux naturels et de participer à leur restauration. Leur diversité génétique permet de rétablir les continuités et fonctionnalités écologiques, d’encourager les interactions avec l’ensemble du vivant et de conserver le potentiel adaptatif de la flore herbacée, arbustive et arborée.”

Forte de ce constat, l’écologue a décidé de créer il y a trois ans une association de production et de promotion des plantes locales et sauvages. “C’est une appellation précise, dont les critères ont été définis par l’Office français de la biodiversité”, souligne-t-elle. Ainsi nomme-t-on, généralement, les plantes présentes dans les milieux naturels locaux “depuis avant l’an 1500”, précise-t-elle, c’est-à-dire “avant les grands mouvements d’exploration du monde, qui ont engendré le déplacement d’espèces d’un endroit à un autre.” Ainsi, l’achillée millefeuille que Pariciflore récoltera et cultivera sera celle d’Île-de-France, et non celle originaire de Méditerranée, dont les caractéristiques génétiques sont différentes.

Collecter et multiplier

Outre leur qualité d’adaptation au sol et au climat de la région, ces végétaux indigènes ont aussi le mérite d’être adaptés à sa faune, avec laquelle ils n’ont cessé de “co-évoluer” depuis des siècles : “insectes, pollinisateurs, micro-mammifères, oiseaux… La végétation locale est le socle de vie de plein d’espèces animales, rappelle Élodie Seguin. Elle leur fournit à la fois un refuge, une alimentation et un lieu de reproduction.” Autant de fonctions qu’une plante horticole n’est pas forcément à même de tenir. “Prenons une plante à grosse fleur, sélectionnée pour sa beauté, illustre-t-elle. En la préférant à une espèce indigène, on risque de priver l’espace végétalisé de plantes nectarifères. On remplit une fonction esthétique, mais on ne répond pas aux besoins alimentaires ni écologiques de la faune présente sur le territoire. Utiliser des semences et des plants sauvages et locaux, c’est favoriser les rendez-vous avec les pollinisateurs.”

Voilà deux ans que l’association Pariciflore, sur une ancienne prairie du Parc du Sausset, s’attache à multiplier des plantes sauvages et locales. “D’abord, il faut trouver les sites de récolte des graines et obtenir les autorisations de récolte, précise sa fondatrice. On va partout en Île-de-France, dans les prairies, les forêts, les zones humides, à la recherche d’espaces dotés de belles populations de plantes, tant en termes de diversité génétique que d’effectifs  – car le but, évidemment, n’est pas de dépouiller les milieux naturels de leur propre végétation.” Une fois la récolte manuelle effectuée, “de mai à octobre”, avec l’aide de bénévoles, vient le temps du tri des semences à la main, puis celui des semis.

Plus précisément, l’association dispose de deux espaces de production. Le premier, dit de “nature en ville”, est centré sur la multiplication de plantes sauvages et locales adaptées aux conditions particulières des milieux urbains – telles que la sécheresse, la forte exposition au vent et au soleil ou l’importance de la dimension ornementale. “Ce peut être pour la végétalisation du toit d’une entreprise, d’une cour d’école, de la terrasse d’un particulier ou du massif fleuri d’une mairie”, poursuit Élodie Seguin. Le deuxième espace est une “zone humide”, c’est-à-dire un “écosystème très riche” où pousse “le cortège typique” des plantes aquatiques et hélophytes de bord de mare, de bord de rivière ou de marais.

Sensibiliser aux besoins

“Cela constitue aussi un beau support pédagogique”, souligne Élodie Seguin. Car là est l’autre vocation de l’association : sensibiliser les institutions, les acteurs du paysage et le grand public à la nécessité de privilégier dans les démarches de végétalisation les plantes sauvages, prélevées et restituées dans un même territoire. “Souvent, on les considère comme de mauvaises herbes, se désole l’écologue. Elles sont celles que l’on tond, que l’on arrache, que l’on plie à notre bon vouloir. Or il s’agit d’un patrimoine précieux.”

En matière d’alimentation, on prend de plus en plus conscience de la nécessité de regarder l’origine des denrées que l’on achète, et de tâcher si possible de privilégier celles qui ont été produites localement. Pour les plantes, ce devrait être pareil : d’où viennent celles que l’on choisit, comment ont-elles été produites, par qui, avec quel respect du vivant ? Les grandes enseignes de vente de végétaux n’ont pas encore de rayons “plantes sauvages et locales”, mais de plus en plus d’acteurs du secteur sont ouverts au sujet. Parmi les clients de Pariciflore, se trouvent ainsi des collectivités territoriales, des entreprises de paysage ou des structures de génie écologique de restauration – qui ont obligation de reconstituer des milieux qui ressemblent à ce qui existe à la nature.

“Reste à continuer à sensibiliser les élus et les paysagistes concepteurs de projets, estime Élodie Seguin. Dans leur formation, ils n’apprennent pour l’instant que les palettes horticoles. Il faudrait qu’ils connaissent mieux les plantes sauvages et locales, ainsi que leurs bénéfices, afin de penser à les prescrire à leurs clients. Il faut élargir la palette des imaginaires, ouvrir le champ des possibles, créer de nouveaux réflexes.”

Un autre rapport au vivant

En Île-de-France, la multiplication des chantiers de revégétalisation est une opportunité. “Nous avons 145 espèces au catalogue, précise Élodie Seguin. Nous en multiplions une centaine en pots ; les autres sont disponibles en semences.” Le hic, c’est que leur coût est plus élevé que celui d’une plante “clonée en milliers d’exemplaires aux Pays-Bas”. Pour un particulier qui n’aura besoin que de quelques plants, l’écart peut rester raisonnable ; mais pour un professionnel qui en achètera deux mille, la différence sera substantielle.  “Se fournir en France, auprès des producteurs locaux, est une démarche dont les enjeux doivent être expliqués et compris, plaide Élodie Seguin. Outre leurs bénéfices écologiques, il faut avoir en tête que les plantes sauvages et locales demandent peu d’entretien (en pesticides, en eau, en engrais) et sont plus résistantes. Nous avons 100% de reprise sur les nôtres – alors qu’une plante génétiquement clonée, chauffée tout l’hiver et boostée aux engrais, a de fortes chances de ne pas survivre.”

À Pariciflore, pas d’engrais : les plantes se développent au rythme de la nature, “donc elles prennent leur temps”, sourit la fondatrice de l’association. Pour participer à reconstituer des milieux naturels, elle s’inspire de la “phytosociologie”, c’est-à-dire de l’étude des “cortèges de plantes” qui, dans la nature, vivent ensemble. “Bien sûr, le réchauffement climatique risque de modifier la donne, mais du fait de leur diversité génétique, les plantes sauvages et locales sont plus robustes que les autres aux modifications de leur territoire, souligne Élodie Seguin. C’est la raison pour laquelle nous récoltons plein d’individus d’une même espèce. Nous nous donnons par ce biais la possibilité d’une diversité d’adaptation. Parmi la population dont nous disposons, certains individus ne résisteront pas à la hausse des températures ou à la sécheresse, mais d’autres parviendront à s’en sortir.”

Au bout de deux ans d’exploitation, Pariciflore commence à voir son activité frémir. “Les filières horticoles classiques sont encore sceptiques, mais je vois beaucoup de jeunes intéressés par la sauvegarde de la biodiversité et les démarches éco-responsables”, note Élodie Seguin. Forte d’une cinquantaine de bénévoles, impliqués à la fois dans ses activités de récolte et dans celles de production, l’association multiplie les expérimentations. “Un maraîcher classique peut s’appuyer sur des itinéraires culturaux précis, explique-t-elle, c’est-à-dire qu’il sait à quelle date il doit planter sa graine, quelle taille elle fera sept jours plus tard, ainsi qu’à quels moments il pourra la repiquer, en récupérer les fruits et faire sa récolte. Dans notre cas, tout reste à étudier et à modéliser.” Si l’association est soutenue par la Région Ile-de-France, le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis et celui de l’Essonne, son objectif est d’asseoir progressivement sa viabilité sur ses ventes. “Pour cela, deux chantiers, conclut Élodie Seguin : produire pour développer notre offre, et nous faire connaître.”

Reportage paru dans le magazine Décisions Durables – Printemps 2023

Vous avez dit “végétal local” ?

A l’initiative d’un collectif d’acteurs de l’environnement, et en réponse à un appel à projet du Ministère de l’écologie, l’Afac-Agroforesteries, Plante & Cité et la Fédération des conservatoires botaniques nationaux ont créé en janvier 2015 la marque “Végétal local”, qui garantit que les semences et plants sont sauvages et indigènes. Adaptée aux exigences de la restauration écologique, de l’agro-écologie, de l’agroforestrie et du génie écologique, cette marque est fondée sur des règles de collecte, de production et de traçabilité, qui visent pour chaque lot de graines ou de plants une diversité génétique élevée. Les graines et plants doivent être issus de collectes locales en milieu naturel, et non de semis ou de plantations, de façon raisonnée, dans chaque aire biogéographique. Le référentiel technique précise les conditions de naissage et d’élevage des plants et de multiplication des semences, qui sont destinés à une utilisation dans leur seule aire biogéographique d’origine.

www.vegetal-local.fr